La Plateforme
- Nicolas Szafranski
- 30 mars 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mars 2020
Cela ressemble au cultissime Cube de Vincenzo Natali. Cela m'a également rappelé l'intéressant The Killing Room de Jonathan Liebesman. En fait, La Plateforme rappelle tous ces huis-clos au propos radical sur le système et la nature humaine. Ce film, réalisé par l'espagnol Galder Gzatelu Urrutia, dont c'est ici le premier long-métrage, était précédé d'un énorme bouche-à-oreille, en plus d'être parvenu à se hisser dans le Top de Netflix. D'abord hésitant, je me suis finalement laissé convaincre de le voir suite à l'intriguant retour qu'un ami m'a fait à son sujet.

On retrouve ici tous les ingrédients propres à ce genre de film : un lieu froid et déshumanisé appelé "la fosse" dirigé par une mystérieuse organisation (nommée ici "l'administration") et des individus prêt à tout pour survivre ("Manger ou être manger"). Le personnage principal, Goreng, enfermé de son plein gré dans le but d'arrêter de fumer, découvre que ce "centre vertical d'autogestion" n'a rien d'un banal centre de désintox : c'est une interminable colonne d'une centaines d'étages desservis par une plateforme centrale, un monte plat sur lequel sont disposés les vivres pour la journée destinés à l'ensemble de la population de la fosse. Cette architecture devient la métaphore de la société et des comportements humains que porte le film : ne sachant de quoi le mois prochain sera fait (les résidents étant transférés à des niveaux inférieurs ou supérieurs à chaque fin de mois) ceux du dessus se goinfrent, ne laissant à ceux du dessous que des miettes et des cadavres de bouteilles. On comprend alors que la clé de la survie sera de conduire les occupants à conscientiser leur environnement en vue de répartir équitablement les denrées alimentaires.
La Plateforme est convaincant dans sa représentation verticale de la société ; représentation qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler Snowpiercer et l'excellent Parasite de Bong-joon ho. Et il est également sans concession. Chair putréfiée, éventration, décapitation, boyaux à l'air. Sans nécessairement s'y attarder, Galder Gzatelu Urrutia ne lésine pas sur le sang (et pas du numérique dégueulasse comme en trouve régulièrement sur les écrans), ce qui rajoute au malaise suscité par le caractère carcéral du lieu. Âme sensible, s'abstenir. Les acteurs sont tous très justes dans leurs interprétations (avec une préférence pour l'inquiétant Zorion Eguileor) et le doublage français est de très bonne facture. En revanche, je trouve à ce film deux défauts, dont un majeur.
Le premier, c'est la réalisation. J'ai de plus en plus de difficulté à apprécier les réalisations camera à l'épaule, avec un cadre vacillant, surtout pour filmer un banal champ-contrechamp. Même si cela est pour asseoir une forme de réalisme brute, cela ne se justifie pas toujours. Et je pense que le monteur avait conscience de cette faiblesse au regard du solide travail de montage qu'il a effectué. Le second défaut, et pas des moindres, c'est la fin. Il n'y en a pas. Je comprends la volonté de conserver le mystère autour de l'administration et son fonctionnement, et de ne pas apporter une conclusion clé en main au spectateur. Cube possède un dénouement similaire, mais son point de suspension était marqué visuellement. Là, le plan de clôture me laisse sur ma faim. Il ne raconte rien. Je pense que c'est un problème de mise en scène, encore une fois. La Plateforme reste malgré tout un très bon film de genre qui mérite d'être découvert.
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