Hacker

De mon point de vue, Michael Mann est, aux côtés de Scorsese, Spielberg et Cameron, l'un des derniers grands cinéastes des années 80 encore en activité. Grand esthète et technicien, précurseur de la HD au cinéma, Mann a néanmoins toujours été soucieux à ce que sa réalisation soutienne la vision du monde et de la condition humaine que ses scénarios développaient. Je vous invite par ailleurs à consulter les articles et les conférences de l'historien et critique de cinéma Jean Baptiste Thoret dans lesquels est décryptée la philosophie gouvernant l'univers mannien. Néanmoins, la filmographie de Michael Mann, aussi intimidante soit-elle malgré le faible nombre de films tournés (deux longs et une série seulement au cours de la dernière décennie), n'est pas uniquement composée de chefs d’œuvres. Hacker (Blackhat en anglais, terme désignant un hacker mal intentionné) est un film mineur dans sa carrière. Cela ne le rend pas inintéressant pour autant. Loin de là.

La progression de l'intrigue semble anarchique (insatisfait du premier montage, Mann en produira un alternatif qui fut projeté à peine un an après la sortie en salle), les enjeux dramatiques paraissent insaisissables, floues, voire inconsistants. Hacker, comme tant de films du cinéaste, fut d'ailleurs un échec public, et il reçu un accueil critique pour le moins timoré. Pourtant, il y a dans ce techno-thriller tout ce qui fait la puissance du cinéma de Michael Mann. Une puissance ne pouvant être pleinement ressentie que par celles et ceux qui connaissent sa filmographie et qui en ont saisi l'évolution. Cette inintelligibilité, relative néanmoins, n'est pas du clientélisme. C'est une démarche artistique, celle de pousser plus loin son écriture cinématographique, de faire taire les dialogues pour laisser les images, les cadrages et les couleurs parler à leur place. Je vous recommande donc de repousser la découverte de ce film si le Solitaire, Heat, Collateral et Miami Vice (à voir dans cet ordre) ne sont que de simples vues de l'esprit. Regardez ces films, et surtout, tentez de comprendre leurs histoires et leurs mises en scène.

A l'image de tous ses précédents films, Hacker est donc affaire d'affrontement, de reflet et de dualité. Entre Nicholas Hathaway, hacker purgeant une peine de prison, et le blackhat qu'il pourchasse aux côtés du FBI, un haut gradé de l'armée chinoise et sa sœur technicienne informatique, il n'y a que le verre d'un écran d’ordinateur. Tous deux s'affrontent par moniteurs interposés, connectés par un réseau d'autoroutes électriques (l'idée de la circulation et du flux, autre marotte du cinéaste), mais tous deux sont les faces d'une même pièce. Pour Hathaway, éliminer ce pirate, c'est finalement tuer la part de l'autre existant en lui-même autant qu'une promesse d'une remise en liberté, même si se substitue au plan océanique constituant habituellement l'horizon rêvé des personnages de Mann, cette étendue de béton recouvrant le tarmac d'un aéroport. Le réalisateur s'autorise d'ailleurs quelques images encore inédites dans son cinéma, comme ce sublime plan subjectif de l'agent Barett (excellente Viola Davis), observant la cime d'un gratte ciel dans la nuit hongkongaise. Chaque séquence, chaque plan, chaque respiration et chaque explosion de violence acquière leur pleine dimension une fois que l'on est connecté à la dramaturgie des précédentes œuvres du cinéaste. Le jeu marmoréen de Chris Hemsworth s'inscrit dans la grande tradition des figures masculines dépeintes par Mann, en particulier celle de Colin Farrell et Christian Bale, comme Tang Wei s'inscrit dans le sillage de Jada Pinkett Smith et Gong Li. Le filmage (cette poursuite dans les ruelles étroites de Shek O, vraisemblablement filmé en Go Pro) relèvent encore une fois de la haute voltige. Enfin, il respire ici un réalisme que l'on côtoie rarement au cinéma, si ce n'est chez ce cinéaste. En somme, Hacker est un grand film mineur.